L’édito d’avril 2024 est écrit par Patrice COSTA, Président de l’Institut européen d’écologie, Docteur en biogéographie, Naturaliste, et membre d’Honneur du COEDADE.

ll soulève les préoccupations actuelles de l’agriculture, marquée par une crise profonde et des manifestations violentes.

Mais où va notre agriculture ? La crise couvait, elle a éclaté. Brutalement. Bouclage de nombreux axes routiers, jets de lisier et de pneus de tracteurs sur les façades de préfectures…

Quand il s’y met, le monde agricole ne manque pas de moyens mécaniques appuyés de matières nauséabondes et de troupes de choc pour perturber le pays et ceux qui le gouvernent.

Sur le fond, on peut rappeler ces raisons de la colère : hausse du prix de l’énergie et des engrais, impacts climatiques à répétition, afflux de produits alimentaires concurrentiels de l’étranger, millefeuille et casse-tête administratif à respecter sous peine d’amendes salées, normes toujours plus pointillistes, retard chronique du versement des aides de la Politique agricole commune, revenus à la ramasse d’une grande majorité d’exploitants…

Sur la forme, on peut aussi, comme une grande majorité de Français, comprendre et approuver le déploiement de force, puisque grèves et blocages sont les deux mamelles usuelles de la revendication sociale dans notre pays.

Avec quel résultat ?

Pour éteindre l’incendie, le gouvernement a offert un boulevard à l’agriculture industrielle et à son principal bras armé syndical. Il fut un temps pas si ancien où le ministre de tutelle des paysans, Stéphane Le Foll, vantait les mérites de l’agro-écologie et de ses méthodes culturales capables de bousculer le vieux paradigme de la productivité tous azimuts.

Il fut un temps, un peu plus lointain celui-là, où un Grenelle de l’environnement avait lancé pour la première fois un plan Ecophyto de réduction de moitié et sur 10 ans des épandages de la chimie phytosanitaire dans les campagnes. Il est vrai que sur ce point précis des intrants, nous étions déjà et nous sommes toujours en état d’urgence.

En 20 ans, nos terroirs ont vu disparaître 60% des papillons diurnes inféodés aux milieux de prairies et ils ont vu s’effondrer les populations de plusieurs espèces d’oiseaux comme l’alouette des champs ou la linotte mélodieuse. Autrefois commune dans les champs, cette petite faune dite ordinaire s’étiole, se raréfie. Mais que pèse une alouette contre un tracteur de plusieurs millions d’euros, contre l’expansion des surfaces céréalières boostées désormais par la culture des CIVE ou Cultures intermédiaires à vocation énergétique pour sustenter l’appétit vorace des méthaniseurs à biogaz ?

Que pèse une linotte mélodieuse contre l’agrandissement programmé des exploitations qui favorise un modèle toujours plus industrialisé piloté par des agri-managers tel que l’actuel président du syndicat majoritaire par ailleurs patron du groupe agroalimentaire Avril et ses 9 milliards de chiffre d’affaire, un empire financier bâti, entre autres, sur les biocarburants et l’or jaune du colza ?

La FNSEA et ses lobbyistes sont les principaux gagnants de la mobilisation de février dernier. Ce phénomène, l’organisation ne l’avait pas vu venir mais elle a su très vite en profiter ! Pour que ses troupes de choc libèrent les routes et retournent à leurs labours et à leurs pulvérisateurs, elle a posé ses conditions. Le gouvernement a répondu par un choc de simplification et listé un florilège de mesures principalement ciblées sur l’environnement…

Jachères désormais cultivables, recul démagogique sur les pesticides, parcelles agricoles situées en zones humides déclassées afin de permettre leur drainage sans entrave, régression sur la législation de la protection des haies, accès plus facile aux dérogations pour implanter de l’éolien, du photovoltaïque, des mégabassines… N’en jetez plus !!

L’agriculture paysanne, celle qui respecte la biodiversité, le vivant, celle des bons produits, du bien-être animal, de la polyculture élevage, celle des fermes familiales à taille humaine, cette agriculture-là est aujourd’hui destinée à prendre le même chemin que celui qui banni les champs de leurs alouettes. Le soulèvement qui a surgi sur une autoroute du Lot-et-Garonne avant de se propager dans tout l’Hexagone aura finalement eu pour effet sous-jacent d’accélérer le rouleau-compresseur du complexe agro-industriel, celui qui se moque des enjeux écologiques comme des paysans encore attachés à leur terre.  

2 commentaires

  1. « cette agriculture-là est aujourd’hui destinée à prendre le même chemin que celui qui banni les champs de leurs alouettes »
    phrase à rectifier…
    je propose : « destinée à prendre le même chemin que celui qui prive les champs de leurs alouettes »
    ou
    qui a banni des champs leurs alouettes…
    ou …
    on ne bannit pas les champs de leurs alouettes, on bannit les alouettes des champs
    ou
    me trompé-je ?

    • Chère madame. Je tiens tout d’abord à vous remercier sincèrement pour votre remarque pertinente. Votre analyse attentive de l’article paru sur le site du COEDADE démontre votre engagement envers les sujets abordés. Soyez assurée que j’ai transmis vos observations à l’auteur de l’éditorial en question. Il ne manquera pas de vous répondre dans les meilleurs délais. Bien cordialement. Philippe Pernet-Schoelcher, Président du COEDADE