Le COEDADE.EU a sollicité l’un de ses membres d’honneur, Jean-Yves COLLET, éminent spécialiste du monde animal et réalisateur de documentaires animaliers, pour écrire l’’édito de février. Il nous présente un curieux petit animal, fort méconnu : le Bernard l’Hermite terrestre…

Au cours de ma désormais longue carrière de réalisateur de documentaires animaliers, j’ai toujours eu un faible pour les animaux mal-aimés. L’homme a toujours eu tendance à protéger ceux qu’il aime au dépens de ceux qu’il n’aime pas ou parfois exècre. Mais l’amour comme le désamour suscite l’intérêt : aimés comme mal-aimés possèdent désormais leur lots d’humains prêt à prendre leur défense si nécessaire. 

En termes relationnels, il existe toutefois un troisième type d’animaux : ceux qui n’attirent pas notre attention. Soit nous ne connaissons pas leur existence, soit nous les croisons régulièrement mais éprouvons pour eux une totale indifférence. Ces animaux-là sont les moins bien lotis : peu importe ce qui peut leur arriver, on ne s’en occupera pas. Ma série « Guerre et Paix dans le Potager » , sortie en 2006, traitait justement de l’intérêt et même de l’importance des myriades de petits animaux qui fréquentent nos jardins. 

Le sujet du documentaire animalier que je tourne actuellement pour France Télévisions concerne un animal de cette troisième catégorie : le Bernard l’Hermite terrestre des Caraïbes. Toutes les côtes insulaires de la Mer des Antilles abritent cette espèce. Ses populations ont certes diminué au fil des décennies récentes à cause de l’urbanisation des littoraux, mais pas au point de mettre l’animal en danger et d’avoir à recourir à des mesures de protection le concernant. Si le Bernard L’Hermite terrestre est connu de tous les caribéens car ils en croisent en permanence,  il ne jouit d’aucun intérêt particulier autre qu’anecdotique. Comme il n’est pas agressif et qu’il ne se nourrit que de charognes et de végétaux, il n’importune pas.  

J’ai découvert l’énergumène en Guadeloupe en 2020 à l’occasion du tournage d’un film sur Christian Holl, artiste de l’UNESCO chasseur de sons et musicien de la nature. L’une des séquences portait sur les capacités sonores de ce crustacé. J’ai découvert que dans certaines zones il était chassé pour être mangé. Qu’il était aussi régulièrement tué pour servir d’appât pour la pêche à la ligne depuis la côte. 

Pour ce qui me concerne, les images de ce petit animal tournées en gros plan m’ont profondément attendries : un charmant minirobot à cinq paires de pattes articulées muni d’un long abdomen « saucissoïde » nu et fragile. À la moindre alerte il se réfugie dans la coquille d’escargot marin ou terrestre qui lui sert de maison. J’ai immédiatement voulu en savoir plus sur son mode de vie. Mes recherches pour en trouver un spécialiste auprès de biologistes du Museum d’Histoire Naturelle ou des milieux universitaires furent vaines : aucun scientifique français ne s’est spécialisé dans l’étude des comportements de cet animal. Les seuls spécialistes que j’ai pu contacter sont américains. Au fil des publications scientifiques, les découvertes que j’ai faites m’ont passionné : ce crabe est le crustacé le mieux adapté au monde à la vie sur la terre ferme. Il possède la vie sociale la plus complexe de tous les crustacés et accomplit chaque année un incroyable périple terrestre de plusieurs kilomètres, depuis les forêts sèches de l’intérieur des terres jusqu’à une plage unique où les individus se regroupent par dizaines de milliers pour se reproduire. Les Bernard l’Hermite doivent changer de coquille après chaque mue de croissance et c’est à chaque fois le parcours du combattant : une coquille trop petite ne permet pas de protéger la totalité du corps, une coquille trop lourde ou trop grande est un handicap lors des déplacements, une coquille trouée ne permet pas de stocker de l’eau pour garder l’abdomen humide. Les scientifiques américains sont formels : cette espèce est en crise du logement permanente ! Et comme la meilleure façon de trouver coquille à sa taille et de fréquenter ses congénères plutôt que d’espérer rencontrer la bonne au hasard d’un déplacement, les Bernard vivent en sociétés organisées et complexes comme aucune autre espèce de crustacé au monde. Ils sont même décrits comme étant l’espèce de crabe la plus intelligente de la planète ! 

Mon avis est que les Bernard l’Hermite terrestres ne jouissent pas de l’attention, de la préoccupation, voire de la compassion qu’ils méritent. J’espère que mon film fera modestement bouger quelques lignes. 

Jean-Yves Collet

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