L’édito de juin 2024 est écrit par Pr. Henri GOT, Docteur en Géologie Marine et Hydrogéologie, ancien Président de l’Université de Perpignan.
Dans cet édito, Henri Got aborde la sécheresse exceptionnelle en France de 2022 à 2024, mettant en évidence les impacts sur les ressources en eau et l’agriculture, notamment dans les Pyrénées-Orientales.
La France a subi durant l’année 2022 une sécheresse exceptionnelle accompagnée de températures parfois caniculaires, qui a touché jusqu’à des régions qui jusqu’alors n’étaient pas concernées par ces évènements. L’ensemble de la France, particulièrement la région méditerranéenne vivent depuis plus de deux ans une pénurie de précipitations entrainant une sécheresse historique. Toutes les ressources en eau tant superficielles (cours d’eau, barrages, retenues) que souterraines (nappes aquifères, circulations karstiques) ont été impactées.
Le midi méditerranéen a été particulièrement concernée, mais l’on sait que cette région sera particulièrement sensible au changement climatique, les températures pouvant excéder la température moyenne de la France de 2,2 degrés.
Plus particulièrement, ces phénomènes ont été exacerbés dans le département des Pyrénées Orientales où le manque d’eau dure depuis le mois de juin 2022. En effet, les cumuls de précipitations ont été très largement insuffisantes durant toute l’année et malgré l’arrivée des températures hivernales depuis plusieurs semaines à la fin de 2022 et le début de 2023 en France, la pluviométrie de ces derniers mois dans les Pyrénées-Orientales est très déficitaire avec un déficit total de 70 % pour les mois d’octobre, novembre et décembre : pour 200 mm qui étaient attendus dans la plaine du Roussillon, seuls 50 mm sont tombés.
Cette situation a entrainé la prise de 10 arrêtés préfectoraux de restriction d’usage de l’eau depuis le mois de juin jusqu’au mois de d’avril 2024.
Ces restrictions ont affecté tous les utilisateurs de l’eau et particulièrement l’agriculture qui s’est pliée à ce difficile exercice.
Une goutte a fait déborder le vase : Le tribunal administratif de Montpellier a ordonné le rehaussement du débit à laisser dans le fleuve à 1500 litres par seconde toute l’année entre Vinça et Millas pour permettre à la vie aquatique de se développer, contre 600 litres par seconde sur certaines périodes auparavant. Conséquence : les six canaux d’irrigation qui s’alimentent dans le secteur devaient prélever moins d’eau. D’où l’ire des 1500 agriculteurs utilisateurs de ces canaux et qui craignaient dès lors pour la survie de leurs exploitations. Ils ont manifesté le mardi 24 janvier 2023 à Perpignan contre cette décision du tribunal administratif.
On voit ainsi que l’on a atteint les limites de ce qui peut être fait par des économies soit imposées, soit volontaires.
Or, si la situation a pu être considérée comme exceptionnelle par rapport aux années passées, mais elle risque de se reproduire dans l’avenir chaque 3 à 4 ans, sous l’action du changement climatique.
Il convient donc de trouver des ressources alternatives complémentaires. Parmi celles-ci plusieurs voies sont à explorer.
Le Ministère de la Transition Ecologique a étudié dès 2022 sur un plan anti-sécheresse dont il vient de dévoiler les points essentiels :
- Aller vers un « Ecowatt » de l’eau : Diminuer d’un peu plus de 10 % le volume d’eau prélevée dans nos sous-sols d’ici la fin du quinquennat, soit une baisse de 4 milliards de mètres cubes sur un total de 33 captés chaque année.
- Mettre fin au gaspillage notamment par la réfection des réseaux de distribution de l’eau pour les amener à un rendement de plus de 80%.
- Développer la réutilisation des eaux usées : La France accuse un retard important pour cette pratique de réutiliser les eaux en sortie de station d’épuration (moins de 1%), en comparaison de nos voisins espagnols (14%) ou italiens (10%). Dans notre département, il s’agirait des stations d’épuration littorales, qui en général se déversent en mer et qui représentent en moyenne 10 000 m3/jour notamment en été (afflux de touristes).
D’autre voies existent à l’échelon local :
- Réalimenter les nappes phréatiques souterraines durant les mois d’hiver : Des essais ont été réalisés avec succès par le Syndicat des nappes du Roussillon ; cet été, la sécheresse a été telle qu’une nappe (Le Boulès à Bouleternère) a dû être réalimentée par dérivation de la rivière Têt.
- Mettre en place des retenues collinaires de petite taille (quelques milliers de m3), notamment dans la vallée du Tech, qui ne dispose pas de barrage à l’inverse des deux autres vallées (Têt et Agly). Une vingtaine de sites potentiels ont été répertoriés par la Chambre d’agriculture de Perpignan.
- Utiliser l’eau du karst des Corbières : Des études ont été réalisées par le BRGM à cette fin entre 2006 et 2011, sans aboutir à une réalisation d’ensemble concrète, hormis pour de petites communes (Opoul, Vingrau).
- En solution ultime, le dessalement de l’eau de mer : Ce sont plus de 700 usines qui dans le monde produisent environ 2 millions de mètres cubes d’eau par jour. Cette technique est très développée en Espagne ; ce pays est le quatrième utilisateur des technologies de dessalement au monde, derrière l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et les Etats-Unis. Mais cette technique est onéreuse compte tenu du prix de l’énergie dont elle est forte consommatrice et produit des conséquences environnementales.
Il s’agit en fait de mettre en place un mix hydraulique sur le modèle du mix énergétique, avec le concours en quantité raisonnable, d’eaux de plusieurs origines, qui joint aux nécessaires économies, permettrait d’affronter les défis à venir. Toutefois, ces solutions ne peuvent être mis en place qu’avec de grandes précautions car la terre est un système d’équilibres coordonnés instables.
Si la mise en œuvre des outils d’adaptation est relativement possible, dans certains cas elle rencontre des limites de délai d’exécution, de préservation des usages actuels ou encore de cout et d’équilibres environnementaux.
Le raccordement au canal de la Durance et donc au Rhône comme la solution Aqua Domitia pour l’Aude, actuellement en cours d’étude de faisabilité se heurte à des problèmes quantitatifs (que sera le débit du Rhône en 2050 compte tenu du changement climatique) et qualitatifs (ce fleuve traverse la « vallée de la chimie » avec tous les aspects de pollution dont les polluants éternels, PFAS).
Enfin, même si la pluviométrie reprend des valeurs plus normales, celles-ci resteront généralement inférieures à la situation qui a prévalu jusqu’à maintenant du fait du changement climatique, cela demanderait du temps pour revenir à une situation normale.
Ainsi, à la faveur d’un épisode méditerranéen désormais terminé, la pluie a fait un retour remarqué, fin avril dans les Pyrénées Orientales. Le département le plus sec de France a enregistré ses plus grosses précipitations depuis deux ans (jusqu’à 100 mm).
Mais cette pluie est essentiellement captée par les végétaux en croissance et n’a plus le temps d’arriver jusqu’aux réserves d’eaux souterraines. Ces précipitations ont donc eu peu ou pas d’impact sur les nappes phréatiques dont la saison de recharge est terminée et à fortiori les nappes profondes.
Rappelons que dans le reste de la France qui en avril 2022 se trouvait dans une situation de bas à très bas niveaux des nappes phréatiques, il a fallu 6 à 8 mois selon les régions, pour qu’elles se régénèrent, malgré d’abondantes précipitations ayant par endroit entrainé des inondations.
Le département le plus sec de France espère de nouvelles pluies prochainement, avant un été particulièrement redouté.
En conclusion :
- La sécheresse n’est pas conjoncturelle mais doit à l’avenir être considérée comme structurelle. En outre, pour un avenir proche, c’est-à-dire l’été prochain, le déficit les réserves souterraines est tel qu’il faudrait une longue période de précipitations notables pour régénérer les nappes aquifères dont les niveaux ont atteint des valeurs historiquement basses. On n’efface pas plus de deux ans de sécheresse en quelques jours !
- Les mesures d’amélioration de l’existant incluant de nouvelles ressources, doivent être privilégiées dès maintenant et appliquées y compris dans une perspective de futur.
- Les autres solutions d’adaptation doivent être mises en œuvre conjointement pour créer un « mix hydrologique », chacune d’entre elles apportant une partie de la solution.
- A plus long terme, dans un contexte de changement climatique qui ira s’accentuant, les périodes de sécheresse alternant avec des épisodes de pluies intenses, rendent nécessaires la mise en place de toutes ces solutions d’adaptation ; rappelons que toute augmentation de 1 degré de la température du globe entraine une modification de 7% du cycle de l’eau. Or la projection de la fin du siècle pourrait se traduire par une augmentation de 4 ° ou plus.
La solution définitive serait de réduire l’impact du changement climatique par un politique vertueuse de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre responsable du changement climatique ; mais pour cela il faudrait modifier de façon drastique nos modes de vie et nous n’y sommes pas prêts !
Pr. Henri GOT