L’édito de mars 2024 est écrit par le Pr Samuele Furfari. Il nous éclaire sur le mythe de l’île de El-Hierro, un exemple, selon lui, de l’enjolivement médidiatique des énergies renouvelables.

Je me demande souvent pourquoi les journalistes ont tendance à enjoliver tous les articles sur les énergies renouvelables. C’est à se demander s’ils sont vraiment des reporters ou s’ils sont des vendeurs de matériel. Non seulement ils embellissent, mais ils aiment aussi extrapoler. Pour eux, si c’est vrai dans un coin du monde, c’est forcément vrai partout.

J’écris ces lignes depuis Tenerife, l’île aux nombreux volcans, dont le Teide, le troisième plus haut du monde. À ma droite, j’aperçois Gomera et, de l’autre côté, à peine visible, la plus petite île de l’archipel des Canaries. L’île d’El Hierro (dont le nom ne vient pas du fer comme on pourrait le croire) offre peu de possibilités de développement, ce qui explique qu’elle ait été dépeuplée par de nombreux émigrants vers Cuba avant qu’elle ne verse dans le communisme. Elle n’a pas d’industrie et seulement 11 400 habitants, ce qui signifie que la consommation d’énergie est faible.

Comme il y a du vent sur toutes les îles, le gouvernement espagnol de José Zapatero a voulu créer un exemple de développement de l’énergie éolienne en Espagne. Il était également possible de créer une centrale de type STEP. Il s’agit d’une centrale hydroélectrique avec un bassin supérieur et un bassin inférieur, où l’eau est pompée lorsqu’il n’y a pas trop de production d’électricité, mais pas assez de demande et, à l’inverse, envoyée dans le bassin inférieur pour produire de l’électricité. Le projet Gorona del Viento, qui compte cinq turbines, a une capacité de 11,5 MW, soit 0,04 % des 2 620 MW installés en Espagne.

Malgré son insignifiance évidente, c’est l’île dont les journalistes aiment parler. Par exemple, le 26 janvier 2015, la RTBF (belge) annonçait « Du vent, de la liberté et de l’autonomie. Depuis quelques mois, une île au large de l’Espagne est à même de se passer d’énergie fossile. » Cet enthousiasme médiatique mensonger m’avait permis alors d’écrire quelques pages dans mon livre sur la géopolitique de l’énergie pour montrer à mes étudiants à quel point il est facile de tromper les gens avec quelques exagérations, même se passer de l’énergie qui fait fonctionner le monde puisque 84 % de l’énergie mondiale est d’origine fossile.

Plus récemment, en décembre 2023, c’est Euronews qui est retourné à El Hierro, et a trompé les naïfs qui regardent encore cette chaîne de propagande européenne avec un reportage au titre dithyrambique : « Alimenté par le vent et l’eau : L’île des Canaries prouve qu’il est possible de fonctionner avec des énergies renouvelables ». Le sous-titre précise qu’il ne s’agit pas de l’archipel des Canaries, mais d’une des îles : « La plus petite des îles Canaries a atteint le record de n’utiliser que l’énergie éolienne et hydraulique pendant 28 jours consécutifs. ». Notez l’hyperbole : « prouve » qu’il est possible de se passer de 84 % des combustibles fossiles, rien de moins.

Même le sous-titre contient une erreur d’omission. Il ne s’agit pas de 28 jours d’utilisation uniquement d’énergie renouvelable, mais d’électricité renouvelable. Euronews insiste même : « L’île est en passe d’être autosuffisante à 100 % en matière d’énergie grâce à des sources propres et renouvelables. »  Confondre énergie et électricité est la première erreur de base de la politique énergétique. Elle est typique des personnes qui veulent induire le public en erreur ou qui sont ignorantes en matière d’énergie. En moyenne, dans l’Union européenne, l’électricité ne représente que 22 % de toute l’énergie finale utilisée.

En supposant qu’il existe d’autres périodes de 28 jours qui permettent cette production, qu’en est-il le reste du temps ? En 2022, la couverture à 100 % a été atteinte pendant 1 008 heures, soit 11 % du temps. Les énergies fossiles ont donc été nécessaires pendant 89 % de ce temps. En moyenne dans l’UE, les éoliennes (terrestres et offshore) produisent 23 % de leur capacité nominale, ce qui signifie que ¾ du temps, une installation aux énergies fossiles est nécessaire. Sur les îles, c’est mieux parce qu’elles sont ventées. C’est le cas notamment d’El Hierro. En 2022, produisant 32 587 MWh, l’installation a fonctionné avec un facteur de charge de 32 % (33 % en 2021, 28 % en 2020, 34 % en 2019 et 35 % en 2018). Il semble qu’il y ait une baisse de la performance, ce qui est prévisible, car les parcs éoliens se détériorent assez rapidement. Donc du point de vue technique ce projet est un échec.

Lorsqu’on vous présente des projets sympathiques, les questions du coût et du soutien public sont très rarement soulevées. Le gouvernement Zapatero s’est montré très généreux envers ce parc éolien qui, par décret royal, a reçu un paiement de 236 €/MWh. Le projet de 82 millions d’euros se composait d’une subvention de 35 millions d’euros du gouvernement espagnol et d’une subvention de 2 millions d’euros de la Commission européenne au titre du cinquième programme-cadre de RDT. Le journaliste a omis de mentionner qu’El Hierro était un cas très particulier avec une très faible demande d’électricité. Ce cas sui generis ne devrait tout simplement pas être cité comme un modèle de politique énergétique. Cette niche énergétique ne peut être transposée que dans une poignée d’autres zones peu peuplées dans le monde, avec des conditions de vent ou de soleil particulières. Du point de vue financer c’est un autre échec. La preuve est que El Hierro n’a pas été répliqué ailleurs.

Lorsqu’on vous présente des projets sympathiques, les questions du coût et du soutien public sont très rarement soulevées. Le gouvernement Zapatero s’est montré très généreux envers ce parc éolien qui, par décret royal, a reçu un paiement de 236 €/MWh. Le projet de 82 millions d’euros se composait d’une subvention de 35 millions d’euros du gouvernement espagnol et d’une subvention de 2 millions d’euros de la Commission européenne au titre du cinquième programme-cadre de RDT. Le journaliste a omis de mentionner qu’El Hierro était un cas très particulier avec une très faible demande d’électricité. Ce cas sui generis ne devrait tout simplement pas être cité comme un modèle de politique énergétique. Cette niche énergétique ne peut être transposée que dans une poignée d’autres zones peu peuplées dans le monde, avec des conditions de vent ou de soleil particulières. Du point de vue financer c’est un autre échec. La preuve est que El Hierro n’a pas été répliqué ailleurs.

Samuel Furfari

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